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Le scandale comptable Enron

Enron, ou le scandale comptable qui secoua les États-Unis et les marchés boursiers il y a 20 ans. Une histoire incroyable, mais vraie.

Publié le 16 novembre 2021 · 8 min de lecture

L’avènement d’un nouveau géant de l’énergie

Enron a été fondée en 1985 par Kenneth Lay, figure influente conseillant le gouvernement américain et proche des Bush. L’entreprise résultait d’une fusion entre deux acteurs du secteur énergétique.

Kenneth Lay, fondateur d'Enron

Surfant sur la dérégulation du marché de l’énergie, Enron s’est transformée en intermédiaire spéculant sur les prix énergétiques. Elle a diversifié ses activités : vente d’électricité, fibre optique, production énergétique internationale. En 1999, elle crée une plateforme de trading en ligne traitant charbon, papier et autres matières premières.

Son chiffre d’affaires a triplé en deux ans, devenant la 7e firme américaine. Deux activités principales :

  • Négoce : courtage classique facilitant acheteurs et vendeurs
  • Assurance : garantissant des prix futurs sur contrats long terme
Trading Enron Activités Enron

La manipulation des comptes comme jamais

Enron a manipulé ses comptes de manière sophistiquée, certifiée par le cabinet Andersen largement rémunéré.

Reconnaissance des revenus

Contrairement aux pratiques standard, Enron reconnaissait comme chiffre d’affaires la valeur totale de chaque transaction. Elle transformait également les prêts en ventes avant la clôture trimestrielle, incluant des ventes avec engagements de rachat ultérieur.

Valeur de marché (mark-to-market)

Empruntant aux pratiques bancaires, Enron estimait à la signature contractuelle la valeur actualisée des bénéfices futurs sur 20 ans. Cette approche créait une dépendance : générer continuellement de nouveaux contrats pour maintenir la croissance apparente.

Exemple : un contrat avec une entreprise de location de cassettes vidéo pour développer la vidéo à la demande via fibre optique estimait 110 millions de dollars de profit. Lorsque le client a annulé le projet, les profits comptabilisés ont persisté aux livres.

Special Purpose Entities (SPE)

Ces structures temporaires créées pour couvrir des risques financiers ont été utilisées massivement pour dissimuler des pertes et des expositions financières.

Schéma des Special Purpose Entities

Exemple 1 : Enron possédait 65% d’une entité (EPE). Après vente de parts à une autre structure (LJM), Enron n’avait plus le contrôle majoritaire et a cessé de consolider EPE (déficitaire). Simultanément, elle a enregistré un profit de 65 millions de dollars sur une valorisation contractuelle associée.

Exemple 2 : Enron détenait 300 millions en actions d’une entreprise technologique. Une SPE financée par actions Enron s’engageait à racheter ces titres en cas de baisse. Lorsque le cours chuta de 68%, Enron activa la clause et enregistra un profit fictif. Le problème fondamental : ces SPE dépendaient entièrement du cours de l’action Enron, ne couvrant aucun risque réel.

La particularité scandaleuse : les dirigeants, notamment le directeur financier, créaient et géraient ces entités en se versant des commissions substantielles.

La chute

En fin 2001, Enron annonce sa première perte trimestrielle depuis 4 ans, liée à des charges exceptionnelles de 1 milliard de dollars concernant les SPE précédemment décrites.

Effondrement du cours de l'action Enron

À court de liquidités malgré les tentatives de rachat, l’entreprise déclare faillite. Les conséquences furent dévastatrices :

  • 45 000 employés perdent emplois et retraites (investies principalement en actions Enron)
  • Plus grande faillite depuis 40 ans
  • Le cabinet Andersen ne survit pas au scandale, impliqué dans la destruction de documents
  • D’autres scandales comptables suivent (Worldcom notamment)

Les acteurs principaux condamnés

Les dirigeants d'Enron condamnés

Jeffrey Skilling (CEO, responsable branche trading) : jugé comme l’un des esprits les plus brillants de sa génération, il vient tout juste de sortir de prison.

Kenneth Lay (fondateur) : décédé d’une crise cardiaque après le verdict, il était l’un des hommes politiquement les plus influents aux États-Unis durant l’apogée d’Enron.

Andrew Fastow (directeur financier) : condamné à 10 ans, considéré comme l’architecte des montages les plus complexes, se versant des commissions via des entités qu’il détenait directement.

Les conséquences législatives

Cet événement a engendré la loi Sarbanes-Oxley imposant de nouvelles règles de comptabilité et transparence financière, influençant les réformes des normes comptables (IAS IFRS).


Pour aller plus loin : le livre “The Smartest Guys in the Room” raconte en détail cette histoire et les personnages complexes qui y ont participé.